1881 : Ces ENP qui ont nourri l’École

Les écoles nationales professionnelles restent l’une des créations les plus originales de l’enseignement français. Leur apport de 1890 à 1960 a été considérable. Et c’est encore avec nostalgie que les milieux professionnels en parlent.

Le décret n° 10902 du 9 juillet 1881, qui fait suite à un projet de loi examiné au Parlement et votée le 11 décembre 1880, débouche sur la création à Vierzon (Cher) de la première école nationale de l’enseignement primaire supérieur et d’enseignement professionnel préparatoire à l’apprentissage. Cette école servira de modèle aux futures écoles nationales professionnelles, les ENP. Deux ans plus tard, en effet, le 3 mai 1883, Jules Ferry, président du Conseil des ministres et ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Henri Brisson, président de la chambre des députés, et Charles Hurvoy, maire de Vierzon, posent ensemble la première pierre de cette nouvelle école. «Nous ne voulons pas créer à Vierzon, déclare Jules Ferry, lors de son discours du 3 mai 1883, une école professionnelle qui double ou qui copie les écoles d’Arts et Métiers de Châlons, d’Aix, d’Angers. Non, ces écoles ont un but déterminé : elles se proposent de former des contremaîtres, des sous-officiers pour l’armée du travail ; ici, nous voulons préparer des soldats pour cette armée.» Le projet est soutenu par le patronat industriel local et, plus particulièrement, par Adolphe Hache, directeur d’une grande fabrique de porcelaine.

Plan de l’ENP de Vierzon en 1887 et l’atelier d’ajustage des 1re et 2e années. La préparation au concours d’entrée dans les écoles d’Arts et Métiers ne sera inscrite dans les statuts des ENP qu’en 1903.

Cette école n’ouvrira ses portes que plus de quatre ans plus tard, le 1er octobre 1887. Elle forme des élèves de 3 à 15 ans, de la ma-ternelle à la troisième année de formation professionnelle après l’école primaire. Elle a même nécessité l’extension de l’agglomération de Vierzon sur un nouveau quartier.

Trois autres écoles nationales primaires supérieures professionnelles s’ensuivront : Armentières, dans le Nord (décret du 10 mars 1882, ouverture le 10 octobre 1887) ; Voiron, en Isère (décret du 26 juillet 1882, ouverture le 5 octobre 1886), et Nantes, en «Loire-Inférieure» (décret du 13 octobre 1898, acquisition et transformation de l’Institution Livet, fondée en 1846). En 1900, le rattachement de ces quatre écoles au ministère du Commerce et de l’Industrie leur ouvrit la voie d’un développement rapide et d’une notoriété incontestée.
Mais il faudra attendre le décret du 13 février 1903 qui fixe le statut des écoles nationales professionnelles. Deux missions leur sont attribuées : d’une part, former des professionnels qualifiés et, d’autre part, préparer au concours d’admission des Écoles d’Arts et Métiers. La filière technique, qui prend ainsi corps, doit conduire les élèves les plus brillants jusqu’au titre d’ingénieur tant convoité que les Écoles d’Arts et Métiers pourront délivrer à partir de 1907.

En 1898, l’État reprend l’Institution Livet à Nantes pour en faire une ENP. Celle-ci arbore le compas (dessin), le marteau (forge) et le maillet (travail du bois).

Vingt et une ENP de garçons, six de filles et deux d’horlogerie

À la suite des quatre «grandes» aînées, quatorze autres écoles seront créées entre les deux guerres par transformation d’écoles pratiques : à Tarbes (Hautes-Pyrénées), à Épinal (Vosges), «la Martinière» à Lyon (Rhône), à Saint-Étienne (Loire), à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), à Metz et à Nancy (Meurthe-et-Moselle), à Creil (Oise), à Oyonnax (Ain), à Égletons (Corrèze), à Saint-Ouen (Seine-Saint–Denis, de nos jours), à Limoges (Haute-Vienne), à Thiers (Puy-de-Dôme) et à Morez (Jura). Elles seront rattachées au ministère de l’Instruction publique, qui deviendra celui de l’Éducation nationale, dans un sous-secrétariat d’État de l’enseignement technique créée en 1920 par Alexandre Millerand, alors président du Conseil, à la suite du vote de la loi Astier sur l’apprentissage un an plus tôt. «Un des grands orgueils de l’enseignement technique, énonce alors Hippolyte Luc, directeur général de l’Enseignement technique de 1933 à 1944, c’est d’avoir des écoles nationales professionnelles d’un type parfaitement défini et équilibré, dans lesquelles les cultures générale et technique sont parfaitement associées.» Après 1945, trois autres écoles seront ouvertes à Dellys (près de Tizi Ouzou, en Algérie), puis à Toulouse (Haute-Garonne) et Montluçon (Allier).
L’admission dans ces vingt et une écoles se faisait par concours. La durée des études était de quatre ans. Les deux premières années étaient communes à tous les élèves et les deux dernières diversifiées selon des sections dites «normales», industrielles ou commerciales, et des sections dites «spéciales», qui préparaient aux Arts et Métiers. La création en 1947 du baccalauréat «mathématiques et techniques» (qui sera dénommé bac E, puis S spécialité sciences de l’ingénieur) sanctionne ces études et permet l’entrée aux Arts et Métiers et autres écoles.
Avant la grande réforme de l’enseignement des années 60, on comptait donc vingt et une ENP de garçons, mais aussi six ENP de filles et deux ENP mixtes d’horlogerie (Besançon et Cluses). En 1961, ces ENP deviennent des lycées techniques d’État. Les classes préparatoires à l’Ensam (en un an) seront ouvertes en 1963, puis on créera en 1966 les instituts universitaires de technologie (IUT) et, en 1974, les classes préparatoires (en deux ans) aux Arts et Métiers.
L’Ensam a dû absorber ces chamboulements successifs au fur et à mesure : passage de bac + 4 (1947) à bac + 5 ans (1963), retour en 1974 de quatre ans d’études aux Arts et Métiers (dont un à Paris) à trois ans (deux en province et un à Paris) puis à trois ans avec obligation de mobilité.

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